Olympe Racana-Weiler: Romance With A Bird

17 Mars - 15 Mai 2022

« Je commence mes peintures au mur avec de l’acrylique puis je les dispose au sol pour les enduire de résine », explique-t-elle, « après les avoir réinstallées au mur, j’utilise alors de la peinture à l’huile ». C’est comme si une chorégraphie émergeait dans cette élaboration de ses toiles, où chaque médium « est utilisé systématiquement pour ses qualités propres ». Pour l’artiste, l’idée consiste à « créer quelque chose de singulier, un objet, une présence corporelle ». L’énergie de la danse, la légèreté et la force d’un grand jeté, par exemple, animent les compositions dynamiques de Racana-Weiler, et génèrent une indéniable musicalité.

La meilleure façon d’appréhender œuvres d’Olympe Racana-Weiler (née en 1990), s’il faut absolument en distinguer une, est de le faire au moyen du corps tout entier. La pulsation et l’ampleur de ses toiles peintes sur du lin préparé proviennent de la forme humaine, de ses rythmes internes et sociaux, de ses mouvements à la fois gauches et transcendants. 

Enfant, Racana-Weiler a étudié la danse classique, mais elle a ensuite pris la décision d’éloigner le regard du public de sa peau et de le diriger vers ses immenses toiles. Ses œuvres d’une abstraction gestuelle induite par la matière et une idée de la figure commencent adossées au mur, formant pour ainsi dire une scénographie dans l’immense atelier inondé de soleil où elle travaille à Montreuil. « Je commence mes peintures au mur avec de l’acrylique puis je les dispose au sol pour les enduire de résine », explique-t-elle, « après les avoir réinstallées au mur, j’utilise alors de la peinture à l’huile ». C’est comme si une chorégraphie émergeait dans cette élaboration de ses toiles, où chaque médium « est utilisé systématiquement pour ses qualités propres ». Pour l’artiste, l’idée consiste à « créer quelque chose de singulier, un objet, une présence corporelle ». L’énergie de la danse, la légèreté et la force d’un grand jeté, par exemple, animent les compositions dynamiques de Racana-Weiler, et génèrent une indéniable musicalité. La gravure sur bois est devenue tout aussi capitale pour l’artiste, c’est un médium qu’elle utilise pour s’attaquer à la composition et à la surface d’une manière aussi méticuleuse et féroce que dans ses peintures. 

 

Lauréate du prix Antoine Marin et du prix Pierre Cardin, Racana-Weiler a eu des expositions personnelles à la Galerie Jérôme Pauchant et à la Galerie Eric Dupont, son travail a aussi été montré à l’étranger, à Singapour et à Bucarest. Assistante du peintre étatsunien Jim Dine, Racana-Weiler a également étudié la gravure dans l’atelier réputé Steindruck Chavanne Pechmann à Apelton, en Autriche, où les gravures de cette exposition ont été réalisées. La pratique de l’artiste s’est encore élargie depuis le printemps dernier, lorsqu’elle a travaillé à sa fresque Le chant de la Sybille, commandée par la Fondation GGL Helenis à Montpellier, pour le plafond et les murs en double hauteur d’une salle lumineuse de l’Hôtel Richer de Belleval. Se trouver dans ce lieu, c’est pénétrer à l’intérieur du chant grégorien mystique auquel renvoie le titre de Racana-Weiler. D’une beauté spectrale, ce chant médiéval raconte une apocalypse prophétique. L’artiste se réapproprie cette vision, en transférant le chant de la soprane et le silence dans cette forme et cette vivacité de la couleur. En abordant le travail de la fresque, Racana-Weiler a été amenée à se confronter à la structure de ce bâtiment du XVIIe siècle, et c’est peut-être en relevant ce défi que l’artiste a commencé à clarifier davantage les architectures qui structurent depuis longtemps dans ses propres toiles. Ainsi, malgré leur grande amplitude, Orange Magnet et Pretty pink, baby blue, qu’elle a peints l’été dernier, tout comme les toiles qu’elle avait présentées dans son exposition personnelle Behind the Eyes à l’automne dernier, révèlent un sens de la composition plus puissant et plus resserré encore. 

 

On raconte que les peintures de Joan Mitchell et de Helen Frankenthaler étaient les plus grandes peintures de l’exposition fondatrice de l’expressionnisme abstrait, connue sous le nom de « Ninth street show ». En réalisant des toiles de plus de deux mètres, elles avaient transgressé les limites fixées par les organisateurs de l’exposition. Dans cet événement rassemblant plus de 72 artistes, deux femmes parmi la douzaine que comptait l’exposition s’étaient littéralement battues pour obtenir plus d’espace et gagner en visibilité. Dans les décennies suivantes, l’habitude serait prise aux États-Unis de minorer les œuvres de ces femmes, même si elles étaient bien présentes dès le départ. De même, The Persian Jacket(1952), l’œuvre de Grace Hartigan fut la toute première peinture de l’expressionnisme abstrait d’après-guerre à être acquise par le MoMA. Une étude honnête de l’expressionnisme abstrait étatsunien force à reconnaître que la monumentalité, l’audace et la vigueur de son traitement de la figure fut d’autant plus fort et crucial qu’il a été féminin.  

 

Le processus de travail de Racana-Weiler est aussi musculaire, il est presque possible dans les gravures, les tendons et les fibres de ses toiles, le fondement de leur squelette. Sa gravure sur bois Rock the Ink est comme un portrait aux rayons-x. Si dans les années 1950 on aurait pu donner le qualificatif d’expressionnisme abstrait à la force et la vigueur de l’œuvre de Racana-Weiler, aujourd’hui on pourrait la qualifier de maximaliste, un terme utilisé par la peintre contemporaine étatsunienne Rosson Crow pour décrire l’immensité et la complexité de ses toiles. Dans le numéro de février 2022 d’Art Press, Richard Leydier affirme que les peintures de Racana-Weiler sont « exubérantes » et « baroques ». Je récuse le terme de « séduisantes » qu’il emploie car il réduit le travail de l’artiste à une vision attendue de la sexualité féminine, mais c’est une autre histoire. Parce qu’il évoque l’envie de mouvement, l’ornementation et la magnificence, le Baroque – né à Rome dans le premier XVIIe siècle et promu vigoureusement par l’Église Catholique contre l’austérité luthérienne grandissante – est une référence historique utile pour l’œuvre de Racana-Weiler.

 

La couleur vibrante et dorée était un élément important du Baroque, tout comme elle est essentielle dans le travail de Racana-Weiler. Ici, la recherche de l’artiste dans les possibilités de l’harmonie des couleurs fonctionne à plein régime. Palenque, par exemple, est une tapisserie maya très densément tissée. Et Coyote Radar est composée comme Elaine de Kooning (autre femme à avoir été incluse dans le Ninth Street Show) aurait pu le faire : forme et couleur sont tissées l’une à l’autre pour créer un noyau d’énergie. Comme des parachutes tirés par leur câble d’ouverture, les compositions de Racana-Weiler ont acquis une tension nouvelle l’an dernier. Ses œuvres sont structurées, elles constituent des espaces complexes où abondent ciel et soleil qui surplombent des paysages habités, méditerranéens, cette fois-ci. Elles sont les prouesses d’un corps, déterminé. 

 

Lillian Davies

3 mars 2022

 

(traduction : Vincent Broqua)